I.
Voyez donc ce corps qui s’étiole
Sous les platanes de l’été
Fillette, adolescente folle
Courant dans les herbes de Mai.
Voyez ces lourds yeux embués,
Cerclés de noirs soucis, rougis,
Paupières bleuies, mal fardées.
Imaginez, neuve clarté
D’insouciance, au ciel empruntée
Sans fard ni rides, sans cosmétiques,
Où tout regard voulait plonger :
Ces yeux maintenant nostalgiques,
N’ont que la non couleur du gris
De l’ennui, des lentes douleurs
Des années, des amours trahis,
Sans même pour rançon la peur.
Et pourtant la vieille sourit
Quand un enfant passe devant-elle,
S’il s’arrête elle s’extasie :
Est-ce un ange devant elle ?
Passants, apprenez de la vieille :
Assise dans le jour méchant,
Sans espoir, elle s’émerveille
Pour un rien ; un chien, un enfant.
Moi j’ai regardé ce visage,
Son sourire édenté, soudain
Si jeune. J’ai vu en cette image
Un signe au-delà des chagrins.
II.
Et moi ma langue se délite
Mangée par un désespoir fou
Joie, amour, sang de la vie me quittent
Pour un amour que j’ai cru doux.
Désormais trahie, délaissée
Aimée sans amour de retour
Aimant sans espoir d’être aimée
N’espérant plus rien de mes jours.
Je ne suis plus qu’un lourd fardeau,
N’espérant que les échappées
De nuits inertes, sans plus de mots,
Dans l’inconscience me plonger.
Corps et âmes sont intoxiqués,
Pâles chimiques substituts
Jusqu’à ce que je sois clouée,
Nue, inconsciente et point émue
De tristesse, d’abandon, perdue,
Perdue dans cette mer trop cruelle
Où parfois une forme ténue,
Vous accroche et vous interpelle :
Récif aux rochers bien tranchants
Écume aux formes de sirènes
Qui vous rejette tout sanglant
Et gémissant sous tant de peine.
Je ne suis pas comme la vieille,
N’ayant jamais eu mon contant,
D’amour, de joies, de joues vermeilles
D’ ancêtres vers moi se penchant.
— Babylon5