- Bonjour Monsieur.
- Bonjour. Que puis-je pour vous ?
- C’est bien ici le Bureau des Pleurs ?
- Oui, mais vous devez déposer vos larmes à l’entrée.
- Ah ! Bon. Et pourquoi donc ?
- Trop risqué. Nous n’avons pas de plan d’évacuation, vous savez…
- Bon. Pas grave, je n’ai plus de larmes. J’ai juste un gros paquet.
- Ah ! Oui ? Quel genre de paquet ?
- Un paquet de souffrances. Vous prenez bien les paquets de souffrance, non ?
- Oui, oui.
- Et où puis-je le déposer ?
- Vous voyez le comptoir Bouddhiste au fond du bureau ?
- Non, je ne vois rien. Mais de toute façon je suis catholique.
- Ah ! Je vois… Dans ce cas…
- oui ? Quoi ?
- Eh ! Bien, je ne peux rien faire pour vous.
- Et pourquoi donc, Monsieur ?
- Les Catholiques et autres Chrétiens sont priés de porter leur fardeau jusqu’à la fin. C’est dans le règlement.
- Oh ! Mais vous savez, Monsieur l’employé, je ne suis pas si Chrétien que ça… Juste baptisé…
- Ah ! Alors c’est différent. Vous pouvez dans ce cas déposer votre paquet.
- Sur le comptoir Bouddhiste ? Mais je ne le vois pas !
- C’est normal Monsieur. le Bouddhisme stipule que tout n’est qu’illusion.
- Même le Bouddhisme ?
- Oui, c’est ça. Même le Bouddhisme et le Bouddha aussi d’ailleurs.
- Mais alors ? Comment vais-je faire ? Je voudrais bien me débarrasser de ce gros paquet… Il est très lourd, vous savez !
- Décidément, Monsieur, je vois que vous n’êtes pas très gâté du point de vue de l’intelligence.
- Comment ça ? Vous osez me traiter d’imbécile en plus ?
- Bon, écoutez. J’ai beaucoup de travail. Repassez plus tard.
- Quoi ? Vous ne voulez même pas me répondre, espèce de bureaucrate borné ?
- Attention, Monsieur ! A votre place je me calmerais. Ca n’est pas vous qui faites la loi ici.
(le client se met à pleurer)
- (l’employé est terrorisé) Arrêtez-moi ça tout de suite ! Vous allez nous noyer, ma parole ! Bon, jevais vous expliquer.
- (l’autre se calme, il sort un grand mouchoir). Ah ! Merci. Je vous écoute.
- Bon, je vous disais que tout est illusion…
- Selon le Bouddhisme ?
- Oui.
- Et alors ?
- (l’employé s’énerve un peu) Et alors ? Et alors, si tout est illusion, votre paquet l’est aussi, ça y est,vous pigez ?
- (le client regarde à ses pieds) Mais, Monsieur le préposé, je ne voudrais pas vous contredire, mais il est toujours là !
(il essaye de le soulever)… Et il est encore plus lourd…
- Mais que voulez-vous que j’y fasse, si vous vous trimballez avec un gros de paquet de souffrances illusoires !
Allez, oust ! Ca suffit maintenant ! Débarrassez-moi le plancher !
A ce moment, une trappe s’ouvre dans le sol sous le client, qui tombe avec son gros paquet. L’employé s’essuie le front d’un air
excédé, et retourne à ses écritures.
— Babylon5
avril 19th, 2010 on 10:31:35
Cet employé m’a l’air d’un démiurge déguisé en employé.
avril 19th, 2010 on 13:36:28
le Bureaucrate en son Bureau est Tout Puissant. Cependant il n’est pas responsable, ses ordres lui viennent « d’en haut ». Ce texte en prose rejoint mon « éloge de la tristesse ». Nous vivons dans un siècle très noir, enfanté par le plus noir des siècles, et on nous somme d’être forts et surtout heureux. C’est une injonction, un dictat. Celui qui souffre n’a pas sa place, il est considéré comme un malade. Il est bon pour la trappe : bon à être jeté. Pourtant, la souffrance a toujours fait partie de notre condition humaine. Voulons-nous devenir autre chose que des humains ?
avril 19th, 2010 on 12:57:34
Ha, ça c’est dur…
Surtout la chute !
avril 19th, 2010 on 18:45:53
On se débarasse comme ça des problèmes et des gens à problèmes de nos jours : la trappe !